Le Soleil
Arts magazine Dossier, samedi, 2 février 2008, p. A4
Publics cibles
Les maisons de disques multiplient les initiatives destinées à une clientèle bien précise
Lavoie, Kathleen
Elle rythme notre vie. De la salle d'attente du médecin au centre de conditionnement physique, la musique est partout. Partie intégrante de notre quotidien, on questionne rarement sa provenance, qui n'est pourtant pas le fruit du seul hasard. Une industrie de la musique en mutation a depuis longtemps compris que si le consommateur ne venait plus à elle, elle se devait d'aller vers lui, et ce, même si ça voulait dire l'accompagner chez le dentiste!
Avec les faillites des derniers grands disquaires canadiens, Music World et Sam the Record Man, la tendance semble désormais irréversible : on achète de moins en moins de CD. Cela n'empêche pas la consommation de musique d'augmenter au pays, alors que les téléchargements par ordinateur et par téléphone cellulaire connaissent une croissance exponentielle.
Pour les multinationales du disque, le nerf de la guerre est maintenant l'abondance des contenus, la diversité des supports et l'originalité des stratégies de marketing.
"On constate que la façon traditionnelle de mettre en marché est moins efficace. Aujourd'hui, le consommateur a 100 façons de trouver la pièce qu'il veut acheter. Ce qu'on cherche à faire, comme compagnie de disques, ce n'est donc plus tant de vendre cette pièce que de la mettre dans l'oreille du public", explique au Soleil Claudie Lapointe, représentante chez Universal Music Canada.
Ainsi, les maisons de disques multiplient les initiatives destinées à rejoindre le public. Qu'il s'agisse de rendre disponibles ses plus grands succès sous forme de sonneries pour portables, de fournir des titres à des sites Internet très fréquentés (par exemple, EMI Music Canada s'est déjà associée au portail de la Toyota Matrix) ou d'offrir du contenu musical à une chaîne de cinémas pour "meubler" l'attente des cinéphiles, les possibilités sont infinies.
La plate-forme à laquelle s'intéressent toutefois le plus les fournisseurs de contenu et les consommateurs, que ce soit comme moyen de promotion ou comme guichet de téléchargement, c'est Internet.
"Avant, il y avait la radio et le vidéo. Aujourd'hui, c'est l'Internet. Comment expliquer autrement qu'un groupe comme la formation allemande Tokio Hotel, qui n'a jamais tourné au Québec, donnera un spectacle à guichets fermés à Montréal dans quelques jours?" demande Claudie Lapointe.
Chez EMI Music Canada, on juge la tendance si forte qu'un département de l'entreprise se consacre exclusivement au développement de la distribution de produits numériques.
"Il reste un peu d'éducation à faire auprès de nos artistes notamment. Pour certains, cette évolution fait peur. Il y en a encore pour privilégier le CD, un objet qu'on peut tenir dans ses mains, contrairement au fichier numérique. On comprend leurs réticences. Sur le plan strictement commercial toutefois, le public a parlé. L'avenir se trouve dans le numérique. Et nous, comme entreprise, nous nous sommes engagés à lui fournir notre musique dans le format qu'il désire", soutient Sean Hutchison, directeur du développement du contenu numérique chez EMI Music Canada.
Ententes exclusives
En marge de ce secteur prometteur, la multinationale multiplie également les ententes d'exclusivité pour la diffusion de ses titres dans les succursales de grandes bannières. C'est le cas notamment avec la chaîne hôtellière Fairmont, dont fait partie le Château Frontenac.
"On ajoute la musique à une expérience déjà personnalisée. Ça nous permet de faire connaître de nouveaux noms, mais aussi notre catalogue passé qui est d'une richesse incomparable avec des artistes comme Pink Floyd, David Bowie et Deep Purple. Quand on regarde le profil de la clientèle d'une chaîne comme Fairmont, ça correspond très bien à notre catalogue", continue Sean Hutchison qui, du même souffle, promet aux visiteurs du Château Frontenac un produit adapté au 400e anniversaire de Québec au cours des prochains mois.
Du côté de la compétitrice Universal Music, on privilégie aussi le placement de titres dans des publicités, téléséries ou films. Une stratégie qui s'est révélée efficace avec l'auteure-compositrice canadienne Feist, dont la pièce 1, 2, 3, 4, utilisée dans une annonce de iPod, lui vaut actuellement quatre nominations aux Grammys.
"Il y a certaines téléséries américaines comme Grey's Anatomy qui mettent des nouveaux artistes en évidence (N.D.L.R., ce fut notamment le cas du Montréalais Patrick Watson). Un de nos groupes qui ont été mis sur la map par la diffusion d'une chanson dans un épisode, c'est Snow Patrol. Ç'a été instantané. L'idée derrière ça, c'est d'associer la musique à une image, à un événement ou à une émotion. Dans le cas de Snow Patrol, il s'agissait de la finale de la saison. C'était hyperémotif. La radio ou le panneau publicitaire ne peut arriver à ce genre de résultat", fait remarquer Claudie Lapointe, ajoutant que cette stratégie est encore très peu employée au Québec.
Un autre effet non négligeable de l'apparition de nouveaux supports de distribution, c'est la réactualisation des calatogues d'artistes moins actifs.
"Autant l'industrie a souffert de l'arrivée des formats numériques, autant il en ressort quelque chose de très positif. C'est une occasion en or pour nous de moderniser notre catalogue. Si on prend l'exemple d'Anne Murray, elle était absente du marché depuis un bon moment. Lorsque nous avons sorti sa collection de duos cet automne, nous en avons profité pour rendre disponible tout son calatogue sur iTunes. Ç'a relancé ses ventes. Idem pour Ringo Starr."
Le bon filon
En mouvance constante, l'industrie de la musique semble, momentanément, avoir trouvé le moyen de ramener les revenus qui lui échappaient dans ses goussets. Mais qu'en est-il de l'avenir?
"Le CD n'est définitivement pas un produit en croissance, mais les formats numériques, eux, oui. Ça, c'est la bonne nouvelle que personne ne rapporte. C'est excitant de penser que peu importe qui vous êtes et où vous êtes, nous pouvons vous rejoindre. Présentement, iTunes est le chef de file dans la vente en ligne. On peut toutefois s'attendre que d'autres joueurs, comme Google et Yahoo, suivent. Au-delà de ça, difficile de prévoir ce qui va se passer! D'ici là, on essaie de se concentrer sur les artistes et de trouver le format qui est le plus approprié pour chacun d'entre eux."
Utilisée dans une pub de iPod, la pièce 1, 2, 3, 4, de l'artiste Feist, lui a valu 4 nominations aux Grammys
klavoie@lesoleil.com